LA BELLE ÉPOQUE, SON RÉGIME POLITIQUE, SA SOCIÉTÉ (1880-1914)
Origine: La III° République est issue des ruines du second empire, emporté par la défaite à Sedan. L'opposition parlementaire avec à sa tête Léon Gambetta réussit à créer un gouvernement provisoire dit de défense nationale (la république est proclamée le 4 septembre), mais celle-ci ne peut éviter de négocier un armistice avec un désormais Empire allemand unifié sous l'égide de la Prusse. Des élections sont organisées, donnant une majorité de députés monarchistes. Adolphe Thiers est élu chef du pouvoir exécutif, et doit se charger de négocier la paix et de rétablir l'ordre à Paris. Les monarchistes triomphants sont trés heureux de laisser la république assumer ces taches ingrates.
L'Assemblée nationale aura de nombreuses hésitations et mettra neuf ans (jusqu'en 1879) à renoncer à une nouvelle monarchie constitutionnelle et élaborer une troisième constitution républicaine instaurant une démocratie parlementaire à deux chambres. En effet la rigidité du comte de Chambord (notamment pour une question de drapeau blanc au lieu du drapeau tricolore) ainsi que les divisions des royalistes entre légitimistes (partisans du Comte de Chambord) et orléanistes (prétendant de Philippe d'Orléans) ruinent tout espoir de rétablissement de la monarchie.
La III° République est définitivement instaurée en janvier 1875 par la création officielle d'une présidence et de deux chambres. Les lois constitutionelles sont votées par la suite. Ayant rempli son role l'assemblée nationale est dissoute. Les républicains parviennent petit à petit à imposer leur point de vue et en 1879, ayant remporté la majorité au sénat, la III° République peut être désormais considérée comme assise sur de bonne bases. Notons que les républicains ont usé d'une stratégie de compromis, nécessaire face à une opinion guére acquise aux idées républicaines (sauf dans les grandes villes) et à une assemblée où les monarchistes étaient majoritaires, et qui se révéla payante.
Buste de Marianne en 1891:
Le pouvoir exécutif et législatif: Le pouvoir législatif repose sur deux assemblées aux pouvoirs comparables: la chambre des députés, élue au suffrage universel direct, et le sénat élu au suffrage universel indirect, réunis en assemblés nationales. Les députés et sénateurs élisent à la majorité absolue le président de la république pour une période de sept ans renouvelable. Le président et les ministres qu'il désigne forment le pouvoir exécutif. Le chef du gouvernement est en fait le président du conseil. Le véritable exercice du pouvoir est détenu par le cabinet des ministres appuyé par la majorité parlementaire. En effet depuis la crise du 16 mai 1877 et ses suites le président ne prétendra plus à gouverner et ne fera plus appel à son pouvoir de dissolution de l'assemblée (droit pourtant reconnu), son rôle étant celui d'arbitre et de gardien des institutions.
Le monarchiste Mac-Mahon président de la république de 1873 à 1879:
Les deux chambres: Les députés sont élus au scrutin uninominal à deux tours ("scutin d'arrondissement"), malgré une forte volonté d'établir un représentation proportionelle. Ce mode de scrutin restera celui utilisé majoritairement par la III° république. Les sénateurs sont élus pour un mandat de neuf ans, et sont renouvelés par tiers tous les trois ans, et ce par un scrutin de liste à plusieurs degré au niveau du département. Le collége électeur est composé de députés, conseillers généraux, conseillers d'arrondissement, ainsi que des délégués élus des conseils minicipaux. Cette méthode entrainera la surreprésentation des campagnes dans la chambre haute durant toute la belle époque.
Pour être promulguée, une loi doit être votée par les deux chambres, d'où des aller-retours trés fréquent entre les deux assemblées (système de la navette).Même si les deux chambres ont des
prérogatives trés semblables, on doit noter quelques
différences: la chambre a la priorité dans le domaine
financier et débat avant le sénat du budget et des lois
de finance. Le sénat ne peut être dissout et intervient
même dans la procédure de dissolution de la chambre.
Il peut se constituer le cas échéant en haute cour de
justice.
Les élections: Suite à la loi sur les associations de 1901, à la liberté de la presse (loi de 1881) et celle de réunion, le parti politique devient une structure d'encadrement, même si de nombreux candidats n'adhérent pas à un parti politique (mais néanmoins orientés conservateur ou républicain). Les candidats défendent souvent les intérêts de leur circonscription, on a eu ainsi des députés du vin, des députés du cheval, etc. Les campagnes électorales se font par voie d'affichage, de journaux et de réunions. On en vient aux mains et on diffame l'adversaire plus que fréquemment. Depuis 1881 un candidat publie une profession de foi de une à quatre pages dans le "Barodet" (du nom du député qui l'a inventé), avec curriculum vitae et programme (et de plus en plus fréquemment photographie).
Conservateur et républicains: Le régime a pour origine une assemblée où les royalistes étaient majoritaires. Ainsi une bonne partie de la droite de l'époque est restée proche de l'Eglise catholique et anti-républicaine. D'où des relants anti-républicains, boulangistes, royalistes, bonapartiste, avant que le mouvement ouvrier soit vu comme une nouvelle menace contre la démocratie. Ainsi tout le monde n'est pas perçu comme ayant la "légitimité républicaine"...
La classe dirigeante jusqu'en 1914 sera composée en grande partie de libre-penseurs, franc-maçons, protestants, catholiques émancipés, etc., la droite restant dans l'opposition.
Il ne faut donc pas confondre les républicains avec ce que l'on appelle aujourd'hui "la gauche". Les fondateurs de la III° république, les Gambetta, les Ferry, peuvent passer pour conservateurs. De fait l'opposition gauche/doite était plus une opposition républicains-laïcs/cléricaux-monarchistes, et ce n'est que par la suite, le régime républicain bien ancré, que celle-ci deviendra une opposition sur des critéres économiques et sociaux. Dans les années 1890, les républicains seront même sensibilisés au danger de l'extrême gauche, et un Jean Jaurés restera un patriote qui ne niera jamais la nécessité de la patrie (cf. son ouvrage l'armée nouvelle).
Fête nationale: En 1880 est instauré la fête nationale du 14 juillet, double souvenir de la prise de la Bastille et de la fête de la Fédération. La revue de l'armée se fait alors à Lonchamp.
Quelques lois ayant fait date sous la III° République:
Nous devons aussi constater que la France est coupée en deux par une diagonale: d'un coté le nord-est, industrialisé; dynamique, concentrant industrie et richesse, et même une agriculture de pointe utilisant la mécanisation et les engrais (Beauce, Brie, Picardie). De l'autre l'ouest et le sud-ouest restent encore largement sous développés. Un autre fait marquant est la concentration industrielle de la région parisienne (Paris et le désert français).
Notre pays n'a pas connu une révolution industrielle à l'anglaise, il s'est industrialisé lentement, laissant subsister la paysannerie et l'artisanat traditionnel.
Publicité pour les pneux Michelins en 1911:
La société civile en 1900 - costumes avec chapeaux melons et canotiers pour les hommes, robes longues avec extravagants bibis pour les dames
Ce sont toutefois les moyennes et grandes propriétés qui comptent le plus économiquement, ayant seules les moyens de se mécaniser et de se diversifier. Outre les petits propriétaires, notons l'existence d'un prolétariat d'ouvriers agricoles, trés mal payés. Bon nombre d'entre eux seront attirés par les salaires de l'usine ou obligés d'y aller pour fuir une une terre qui ne les nourrit plus.
La moyenne bourgeoisie est composée de notables locaux, n'ayant pas d'envergure nationale: chefs d'entreprises, notaires, professions libérales, officiers, ingénieurs... La petite bourgeoisie regroupe artisans, boutiquiers, employés, petits fonctionnaires... Tous ces gens sont néanmoins conscients d'appartenir à une classe supèrieure à celle des prolétaires.
Le baccalauréat à cette époque fait figure de brevet de bourgeoisie, mais ne concerne que 1/40° d'une classe d'age et ne fait entrer des non bourgeois qu'occasionellement (i.e. méritocratie républicaine).
Politiquement la haute bourgeoisie n'est pas omnipotente, étant dans une démocratie parlementaire. Toutefois la haute bourgeoisie controle largement l'appareil d'état, grace à de bonnes places dans la haute administration, la diplomatie, la magistrature, et jusque dans les deux chambres (30 à 40% des députés viennent de la haute bourgeoisie). Elle controle de plus l'économie.
Ajoutons que seule la bourgeoisie a véritablement accés aux loisirs, qui commencent à se développer: vélo, tennis, automobile, alpinisme, stations balnéaires, etc. étant la seule à disposer de temps libre.
Ouvriers forestiers dans les Vosges:
Malgré cela, même si globalement ils échappent à la misére, les ouvriers partagent une précarité devant l'emploi, la maladie, et aussi une pauvreté qui les distingue des bourgeois et des employés. Un des fléaux de cette époque est l'insalubrité des logements ouvriers (un des pires cas en Europe de l'Ouest), qui n'ont guére de ressources pour habiter un logement décent. Souvent les femmes sont obligées de travailler, mais pour des salaires nettement inférieurs à ceux des hommes.
Notons la dureté, notamment physique mais pas seulement, du travail ouvrier: horaires trés lourds (six jours de travail à 12 heures par jour), pénibilités de certaines taches, cadences exigées trés rapides. La discipline de fer des grandes usines, qui commencent à se développer, rajoute encore à ces conditions épouvantes. Les jeunes ouvriers commencent comme apprentis dés l'age de treize ans.
Ces conditions engendrent des moeurs assez brutales, l'alcoolisme est un fléau social, la délinquence augmente et des bandes organisées, les "appaches" font tristement parler d'eux. Le quartier ouvrier de Belleville, connu pour sa délinquence, sera ainsi l'objet de spectacles et de chansons qui en dépeindrons les couleurs... De plus les ouvriers ont la réputation d'être des rouges, d'anciens communards ayant l'intention de subvertir l'ordre social.
Par rapport à d'autres pays le mouvement ouvrier français est plutot faible, ce qui est du en partie à ce que le socialisme et le syndicalisme ne soient pas unis (la SFIO s'est constituée en 1905 en dehors d'une base syndicale, tandis que la CGT, créée en 1895, a pu affirmer son indépendance face aux partis politiques). Le mouvement ouvrier gagne toutefois en force, son moyen de pression principal est la grève. Entre 1906 (année de la catastrophe de Courrières, où un coup de grisou tue 1200 mineurs) et 1910 celles-ci deviennent de plus en plus nombreuses, souvent violentes (la troupe est chargée de les mater, cf. armée force de l'ordre). Clémenceau, pourtant homme de gauche, ne manquant pas d'idées sociales, devient un homme de l'ordre alors qu'il était ministre de l'intérieur, de 1906 à 1909. La chambre va retentir des duels oratoires entre Jaurés et Clémenceau. D'une façon générale, les ouvriers français sont peu syndiqués, et une constante en France sera que les conflits sociaux seront mal encadrés par les syndicats.
La législation sociale se mettra en place lentement, sera moins avancée que celle du reich ou de la Grande-Bretagne, passant ainsi de l'état gendarme à l'état assurance:
Un cas particulier est celui des domestiques, car un bon nombre d'entre eux sont des femmes. Travaillant en moyenne quinze ou seize heures par jours, pour des salaires trés peu élevés, souvent mal logées et mal nourries, pouvant être renvoyées sans recours, elles subissent les exigences sans bornes des maitres(ses). De plus une fille mère perdait souvent sa place, même si c'était du fait d'un homme de la famille, et le chemin était court des amours ancillaires à la prostitution. La condition de domestique est pour bien des femmes le comble de la soumission.
Jules Ferry:
En classe - le travail des petits - Henri Geoffroy 1889:
Bataillons de scolaires défilant place de la république: Les instituteurs transmettaient aussi une certaine idée de la France
Les instituteurs transmettent non seulement un savoir, mais aussi la foi laïque et républicaine. De fait, on rencontre souvent chez eux une ardeur, une conviction, une abnégation qui ont beaucoup aidé à installer durablement l'idéal républicain (les hussards noirs de la république disait Charles Péguy). Ainsi l'école primaire a profondément ancré dans les esprits une morale, un esprit civique et un patriotisme, en plus des compétences de bases que sont la lecture, l'écriture et le calcul.
Au delà de l'école primaire, véritable réussite de la république, l'enseignement secondaire est fermé et élitiste. On compte 200000 élèves dans les lycées, dont seulement 7400 par an sortent bacheliers, essentiellement des garçons, car même s'il existe des lycées de jeunes filles, le cours privé, religieux ou non reste la régle pour les jeunes bourgeoises. L'enseignement secondaire bénéficie toutefois d'un prestige que celui de notre époque ne connait plus.
Les études econdaires sont modernisées en 1902; à l'entrée en 6° on doit choisir entre une section A (classique avec latin, grec facultatif) et une section B (sans latin). En secondes les élèves de la filière classique ont le choix entre une section A (latin-grec), B (latin-langues) et C (latin-sciences). Les élèves de la filière dite moderne se retrouvent dans une section D (langues-sciences)
Notons que les humanités, latin-grec et auteurs classiques, reste la filière d'excellence, une condition sine qua non pour faire partie de l'élite, la filière dite moderne ne bénéficiant pas du même prestige. Á noter l'influence du modèle inventé par les jésuites sous l'ancien régime: versions latines et grecques, explications des auteurs, analyses grammaticales, histoire littéraire, etc. Un enseignement classique où les auteurs contemporains n'ont pas droit de cité.
Á coté du secondaire existe l'école primaire supèrieure, où les meilleurs écoliers peuvent aller s'ils en ont les capacités (méritocratie républicaine qui en fait ne concerne que peu de monde).
Le supérieur est binaire: à coté des grandes écoles, formant les cadres de l'industrie et de l'armée, la faculté forme des docteurs en science, lettres, médecine, droit. En 1885 sont créées les universités, par regroupement des facultés. Il y en a quinze au total, une par académie. Les gros bataillons sont fournis par les étudiants en médecine et en droit.
La gauche est anticléricale, soit ouvertement hostile à toute religion, soit combattant l'influence du clergé sur la vie politique et civile. La droite est favorable à l'Eglise, soit par conviction religieuse, soit par souci politique, la religion étant considérée comme un facteur d'ordre social. D'une façon générale, les républicains ne voient de planche de salut que dans la laïcité, l'affaire Dreyfus ayant de plus montré l'adhésion massive des catholiques au nationalisme, voire aux ligues.
Seuls les missions évangéliques députées dans les colonies sont appuyées par le gouvernement républicain (Père Blancs).
Expulsion des chartreux 1903:
Il ne faudrait pas prendre pourtant comme argent comptant la propagande républicaine. Même si les catholiques de l'époque restent en majorité monarchistes, des mouvances républicaines voient le jour, et on doit noter la présence de mouvement religieux prenant en compte la spécificité ouvriére. Ainsi, les cercles ouvriers, fondés par les aristocrates De Mun et La Tour Du Pin, relayés par le clergé paroissial qui organise cercles d'études, kermesses, retraites et pèlerinages spécialisés. Des croyants offrent une partie de leurs ressources et de leur temps à des foyers d'apprentis, jardins d'ouvriers, colonies de vacances, et même à de l'extra-scolaire, comme le sport ou les loisirs culturels (théâtre, cinéma...).Le syndicalisme chrétien commence à se constituer à la belle-époque, bien que le catholicisme social ait toujours préféré le système des corporations (qui unissent patrons et employés dans une même organisation).
Manifestation à Paris en faveur des soeurs de l'école Saint-Roch touchées par la loi sur les associations (1er juillet 1901) de Waldeck-Rousseau - 22 juillet 1902
Le veau d'or - supplément illustré du petit journal - samedi 31 décembre 1892: