L'ARMÉE COLONIALE DANS LA GRANDE GUERRE
On peut constater, quand on consulte les documents d'époque, une opposition entre les gouverneurs locaux, conscients des problèmes qui se posent sur le terrain, et le gouvernement qui devant l'urgence veut recruter des soldats. De nombreuses révoltes ont lieu, censurées par le gouvernement par crainte de l'opinion publique française, et le recrutement continue malgré les difficultés.
Finalement, la politique coloniale va s'infléchir en 1917, grâce à deux hommes qui réussiront à engager des soldats noirs, malgré leurs relations difficiles: le général Mangin et le député du Sénégal Blaise Diagne (la voix de l'Afrique au parlement). Blaise Diagne demande notamment que la citoyenneté française soit accordée en échange de l'impôt du sang. Il réussit à mobiliser 63.000 recrues en AOF et 14.000 et AEF, lors de longs palabres où il fait de nombreuses promesses, notamment parce qu'il est reconnu par les siens. Son succés est du aussi aux officiers Galandou Diouf et Abdelkader Mademba, protégés du général Mangin, qui démontrent qu'un noir peut être officier.
Le député du Sénégal Blaise Diagne - L'image n°122 mars 1917
Le général Mangin (à droite) et son fidèle Baba - Le Miroir 28 septembre 1916:
La mobilisation en Indochine n'est proclamée que début avril 1915. Considérés comme de piètres combattants mais d'excellents travailleurs, on les voit plus facilement participer à des travaux de terrassement sur le front. Ils travaillent même plutôt à l'arrière et leur petite taille leur épargne souvent les tranchées.
Au cours de la guerre seront formés des bataillons venus d'océanie, Kanaks, Thaitiens, etc., auxquels s'ajouteront quelques Indiens, issus des cinq comptoirs français en Inde. Ces indiens iront avec le corps d'armée britannique. On verra même des chinois à partir de 1917!
Tirailleurs tonkinois - L'image n°112 décembre 1916
Les relations avec la population locale sont encadrées. En dehors de l'armée le contact avec les français se fait au contact de femmes, marraines de guerre ou infirmières, voire prostitutées (dont le nombre se multiplie au abords des camps).
Mélangées, les troupes métropolitaines et coloniales vont apprendre à se connaitre et la plupart du temps à se respecter, même si l'incompréhension a pu être le premier sentiment. Les noirs sont plutôt bien vus car ils se battent au coude à coude avec les français, alors que d'autres nationalités, comme les indochinois apparaissent aux soldats métropolitains comme "planqués".
Au point de vue militaire, les indigènes sont considérés comme de bonnes troupes de choc, mais qui se débandent si elles se heurtent à des engins modernes ou des mouvements imprévus. De fait les tirailleurs se battent souvent au corps à corps et n'hésitent pas à se servir de leur coupe-coupe, ne faisant pas de quartier des ennemis ni de prisonniers.
Entre novembre et avril-mai, les troupes coloniales quittent à tour de role le front pour aller se mettre au repos dans le midi, le froid ne leur permettant guère de se battre.
La diversité des origines et donc des langues posent des problèmes aux officiers français qui doivent se servir d'interprètes. Avec l'arrivée de ces troupes en France aux cotés des troupes métropolitaines, un français simplifié sera adopté par la plus grande partie des militaires, et dont se serviront les journaux eux-mêmes, infantilisant quelque peu les soldats noirs (cf. le manuel édité chez Fournier en 1916 Le français tel que le parle nos tirailleurs sénégalais).
Les autorités militaires et civiles comprennent trés vite la nécessité du respect des traditions notamment religieuses de ces soldats. Ainsi on ne donnait pas de viande de porc aux musulmans, on cuisinait comme au pays, avec les épices et condiments du pays, etc. Naturellement un effort fut fait pour que les rites funéraires soient eux aussi respectés. Au front ces rites étaient difficilement applicables, mais à l'arrière ils furent correctement pratiqués.
A ce sujet, de grandes nécropoles nationales furent créées en 1920, pour honorer et respecter tous ces rites avec une plus grande rigueur que pendant la guerre. En 1920 est ainsi créée la mosquée de paris, symbole de la reconnaissance française aux soldats musulmans.
On doit noter même s'ils sont décorés, trés peu de ces hommes pourront devenir officiers, car l'état-major s'y oppose ainsi que les chefs de corps. Ils ne dépassent donc le plus souvent pas les grades de sous-officiers. Là aussi la situation varie suivant les colonies, et les corps. Ainsi un indigène non naturalisé ne pouvait dépasser le grade de capitaine s'il était spahis, ou celui de lieutenant s'il était tirailleur. La nomination à des grades plus élevés dépendait de la colonie d'origine ainsi que du niveau de culture (la plupart venant de familles aisées et ayant fait des études).Cantonnement du 18° bataillon indigène, composé d'Annamites, à Breuil dans la Marne:
Il fallut dabord les adapter à un climat nouveau, à une vie différente, à cotoyer non seulement des français mais aussi des alliés (anglais, etc.), à combattre un ennemi inconnu avec des méthodes de guerre trés différentes que celles utilisées lors de la pacification, où ces troupes étaient jusque là employées. On essaie pour ce de garder systèmatiquement les officiers qu'ils connaissaient au pays, car les liens créés sont trés forts, et que les troupes doivent avoir confiance dans leurs officiers.
Elles seront pourtant de tous les combats, de la métropole jusqu'aux fronts secondaires: Dardanelles, Perse, Moyen-Orient, colonies allemandes. Le plus souvent elles ne démériteront pas des unités métropolitaines. On doit insister sur le fait que les pertes n'ont pas été plus élevées dans ces unités que dans les unités métropolitaines, ce qui dément le fait qu'ils auraient été plus chair à canon que les autres.
Tirailleurs sénégalais en formation d'approche par échelon, à l'abri d'un terrain, face aux turcs:
Travailleurs indigènes: Parallélement aux soldats coloniaux, la nécessité de faire venir une main d'œuvre des colonies s'est rapidement fait sentir. On fit donc venir des centaines de milliers de travailleurs du Maghreb, d'Afrique noire ou d'Indochine. Un trés grand nombre vont aux usines d'armement. Ils sont logés dans les même camps que les soldats coloniaux.
Les travailleurs ne vivent pas avec les civils la même fraternité que les soldats au combat. Les syndicats s'inquiétent de voir ces emplois ne plus échoir aux européens et du risque de dévalorisation des salaires. Des efforts d'intégration sont pourtant fait par les mairies, notamment par l'organisation de cours de langue.
Les relations entre ethnies ne sont pas non plus toujours cordiales, de graves incidents eurent lieu, et finalement on dut les séparer dans les campements, les usines, les champs. De plus les gendarmes sont aux front et aux dépôts le peu d'officiers et de mobilisés disponibles n'ont guère envie d'aller rétablir l'ordre lors d'incidents.
C'est dans les campagnes que l'embauche de coloniaux a été la moins favorablement vue: les soldats au front craignaient que ceux-ci ne prennent leur place auprés de leur femmes...
On utilisa bien sûr des prisonniers de guerre aux travaux des champs.
Les tirailleurs sénégalais lors de la bataille de la Somme - peinture de Desvarreux
Un Uhlan avec son prisonnier colonial: la propagande raciste joua un rôle important pour convaincre les allemand que les Français étaient incapables de se défendre tout seuls. La kultur allemande allait trompher de la barbarie française
Journée de l'armée d'Afrique et des troupes coloniales 9 Juin 1917: