L'ARME AÉRONAUTIQUE DANS LA GRANDE GUERRE

<= L'armée française de l'été 14


L’aviation militaire est affectée au service du génie, et relève plutôt de missions de renseignements. Aucune doctrine, aucun plan précis n’est alors élaboré au sujet de la nouvelle arme. La France possède 158 appareils de 14 types différents. On peut voler à 100km/h et monter à 3000m (performances semblables chez les différents belligérants), l’armement est quasi inexistant (armes individuelles, quelques mitrailleuses, quelques bombes, et des flèchettes qu’on lance sur l’ennemi par paquet de 100) et la chasse n’existe pas. Pratiquement ce sont les aviateurs eux-mêmes qui montreront aux états-major ce dont ils étaient capables.

Au cours de la guerre, l'aviation aura un essor prodigieux. Il semble toutefois que son importance principale dans la guerre soit restée du domaine du renseignement, du réglage d'artillerie et des liaisons d'infanterie. L'action de bombarder est restée marginale et peu efficace et la chasse avait surtout pour but d'empêcher l'observation ennemi et de protéger la sienne. Le capitaine Fonck s'exprimait ainsi dans ses mémoires (Mes Combats, 1920):

J'ai vers cette époque inauguré la série de mes reconnaissances photographiques. Avec un appareil spécialement adapté à ce genre de travaux, j'ai méthodiquement reconnu le terrain. La photographie prise du haut des airs donne une carte plus nette et plus exacte, une fois corrigé et reportée à l'échelle, que le travail du géographe le plus averti. J'ai vu exécuter par des camarades, au cours de cette campagne, de véritables chefs-d'oeuvres.

Ces expéditions d'ailleurs sont toujours dangereuses. L'ennemi, à empêcher ces reconnaissances, éprouve un intérêt égal à celui qui nous pousse à les effectuer. Contre l'observateur photographique les canons spéciaux sont immédiatement braqués, les projectiles l'encadrent, essaient de le cribler pour le jetter bas, ou tout au moins de le forcer à renoncer à ses travaux. 

Dans les régions où les troupes préparent des opérations de quelque envergure, il suffit quelquefois d'un cliché heureux pour anéantir le résultat de semaines de patience et de précautions. Le camouflage joue également son rôle, mais si l'oeil de l'homme est quelquefois trompé, l'épreuve observée à la loupe ou à l'aide d'appareils de projection recueille impitoyablement tous les indices - Mes Combats - Chapitre IX reconnaissances photographiques

Un Blériot XI part en reconnaissance en août 1914:

un blériot XI part en reconnaissance

Départ d'un biplan Voisin pour une mission de reconnaissance au début de la guerre - Le miroir 13 décembre 1914:

L'aviateur Pégoud part en tournée avec huit bombes dans son appareil:

Le moteur en étoile le Rhône - 1913 - 80CV: Sa puissance et sa sûreté firent de ce moteur un des propulseurs les plus répandus durant le conflit dans les armées alliées. L'effet de couple et l'effet gyroscopique des cylindres procuraient à l'avion une maniabilité exceptionnelle

Moteur le Rhône de 1913

A la fin de 1914 la chasse s’organise (le premier chasseur est français, le Morane-Saulnier, suivi par l'allemand Fokker en 1915), les bombardements également. Paris voit apparaître les taubes le 30 aout 1914. Ils sont plus un sujet de curiosité que de craintes réelles, de nombreux parisiens venant les observer aux jumelles. Les autorités prennent néanmoins quelques précautions, comme réglementer les éclairages des réverbères, ordonner de fermer les persiennes la nuit tombée, interdire l'éclairage des terrasses des cafés, etc.

Maurane Saulnier type S: un des premiers chasseurs, à aile parasol

Maurane Saulnier type S

Maurane Saulnier type N: un des premiers chasseurs, équipé d'une mitrailleuse non synchronisée

Maurane Saulnier type N

Affiche pour que les soldats sachent distinguer les avions allemands - Le miroir 15 novembre 1914:

Il faut attendre 1915 pour voir des raids comportant de nombreux avions, le capitaine Happe et le commandant Goys mettant au point les unités de bombardement, comportant une vingtaine, puis une cinquantaine d’appareils. Le tir à travers l’hélice fait son apparition, d’abord avec un appareil servant à dévier les balles tombant sur les pales, puis avec un appareil de synchronisation. La photographie aérienne prend elle aussi un grand essor (en mars, pour la première fois, l'assaut de Neuve-Capelle est montée à partir d'un assemblage de photographies). Les allemands commencérent les raids de zepplin cette année là, où la menace sur l'arrière se fit nettement plus sérieuse, et l'idée de se protéger en se réfugiant dans les caves fut prise au sérieux. 

Préparation d'une mission photographique:

Mise en place d'une bombe dans un avion:

Mise en place d'une bombe dans un avion

L’année 1916 voit émerger la notion de spécialisation: l’armée française n’a plus que quatre types d’appareils: les Moranes réservés à la chasse, les Voisins réservés au bombardement, les Farmans réservés à la reconnaissance et les Caudrons au réglage d’artillerie. La deuxième génération d’avion arrive aussi cette même année : Farman40, Bébé Nieuport, Spad7, bimoteurs Caudron G IV, bombardiers Breguet Michelin. Le commandant de marine Yves Le Prieur invente un système de fusées qui, fixées sur les mâts des Nieuports et mises à feu électriquement, vont faire des ravages dans les ballons de l’ennemi. Les allemands sortent le Fokker D VII, un des meilleurs avions de chasse.

Fusées Le Prieur montées sur des tiges pour attaquer les zepplin, fixées sur un Nieuport:

Spad7: apprécié pour sa robustesse et sa puissance, il était néanmoins peu maniable et faiblement armé d'une seule mitrailleuse Vickers de calibre 0.303

Spad VII

Spads  devant leurs hangar

Spad XIII: Successeur du spad VII

  • Moteur hispano-Suiza de 220-235 CV
  • Vitesse: 223km/h
  • Altitude maximum: 2000m
  • 2 mitrailleuses Vickers

spad XIII

Un alabatros descendu par un spad:

Albatros descendu par un spad

Le Nieuport de Charles Nungesser:

Nieuport de Charles Nungesser

Caudron GIV:

En 1917, l’entrée en guerre des Etats-Unis, outre des renforts en pilotes, va participer à l’effort de guerre sous la forme de moteurs et d’appareils. En France sort le Bréguet XIV, biplace de corps d’armée et de bombardement moyen, robuste machine qui fera longtemps parler d’elle après la fin des hostilités. Les allemands ripostent avec l’engagement du Junker7, de l’Albatros DV et du triplan de Fokker. Ils sortent aussi les Gothas, bombardiers géants de la série R, qui vinrent bombarder Paris en raids organisés. Cette fois-ci la menace aérienne pour les civils devient sérieuse! Le métro parisien s'avéra être un excellent abri. 

Bréguet XIV:

Appareils du poste de pilotage d'un aviateur - Lectures pour tous 1917

Appareils du poste de pilotage d'un aviateur

Les usines Farman à Cherbourg en 1917:

Usines Farman à Cherbourg en 1917

Bombardement de nuit par Breguet-Michelin - François Flameng 1918:

En 1918, le 14 mai, la première division aérienne est créée, avec 600 avions de chasse et de bombardement, autonome et sous commandement unique (général Duval). On a compris que l’arme aérienne n’était pas comme les autres, et qu’on avait avantage à lui accorder l’autonomie. Au moment où le conflit prend fin, l’arme aérienne a fait de tels progrès qu’elle est devenue réellement offensive.

Pour le bombardement, la charge utile varie de 500 à 1200kg, la vitesse atteint 140km/h, la plafond 4500m, le rayon d’action 500km. Pour la chasse, la vitesse moyenne est de 250km/h, le plafond de 6000m et la cadence de tir de 40 coups par minutes.

Placement des bombes sur les avions de bombardement durant l'offensive de 1918:

Placement de bombes sous les avions de bombardement


Armement des avions: C'est Roland Garros, aviateur déjà célèbre dans le civil avant guerre, qui eut l'idée de fixer une mitrailleuse sur le capot de son avion, tout en blindant les hélices et en les dotant d'un déflecteur pour faire ricocher les balles. Il pouvait ainsi tirer droit devant. Obligé de se poser dans les lignes ennemies à Ingelmunster, il est fait prisonnier, mais son système, remarqué, est dessuite adapté par Fokker qui l'adapte sur ses avions. Plus tard, on arriva à synchroniser le mouvement de l'hélice avec celle de la mitrailleuse.

Roland Garros s'évade en 1917, reprend le combat aérien, et meurt au combat le 5 octobre 1918.
La défense contre les avions: Les armes anti-aérienne n'avaient qu'une efficacité limité. On a calculé que pour abattre un avion à partir du sol, il fallait 30000 obus en 1914. En 1918 il fallait 7400 obus français, 5040 allemands, ou 4550 anglais. Témoignage du capitaine Fonck:

Nous nous trouvions devant Roye, au dessus du bois des Loges; une violente canonnade nous saluait mais je n'en avais cure. Il est si rare d'être atteint par un éclat que je considère le risque comme négligeable - Mes Combats - Chapitre X - "sonné" par l'artillerie antiaérienne

L'aviateur a d'autres conceptions. Il s'en va vers les étoiles. Les canons tonnent! Il ne les entend pas, le bruit du moteur  couvre les éclatements des 77 et des 105. Seuls les flocons blancs, noirs ou verdatres, lui décèle la rage des artilleurs ennemis; impassible, il continue sa route tout à son travail. Soudain, le tir s'est précisé; un bruit, pareil à un déchirement brutal de voile, couvre le ronflement du moteur, l'éclatement s'est rapproché. A la fumée noire qui se dégage, le pilote a reconnu un 105. Alors, il regarde ses ailes, les parcourt de l'oeil, pour vérifier si des éclats n'ont pas troué les toiles. Rien, il est presque déçu. Ce sont les premières rafales les plus dangereuses, aprés, on suit la pensée de l'artilleur, on devine la correction qu'il va faire et c'est facile à éviter - Mes Combats - Chapitre X "sonné" par l'artillerie antiaérienne

Pendant toute la guerre, les artilleurs français ont abattus 400 appareils, les anglais 341, les italiens 129, les américains 18, et les allemands 1588. Vus les effectifs employés, ces résultats sont effectivement modestes.

Mitrailleuses contre avions de reconnaissance - Le miroir 13 décembre 1914:

Canon de 75 tirant contre les avions - Région de Ypres 1915:


Canon de 75 anti-aérien sur remorque - affût quadriflèche sur bandage pleins: efficace lors de sa réalisation vers la fin de la grande guerre, pour des avions volant jusqu'à 250 km/h et un plafond maximum de 5000m, il était encore en service en 1940, bien que devenu totalement inefficace. La durée de trajet du projectile, de 15 à 20 secondes, imposait des corrections de pointage excessives

Canon de 75 anti-aérien sur affût

Canon de 75 antiaérien en action en 1918:

Canon de 75 antiaérien en action en 1918


Les Chevaliers du ciel: La postèrité retiendra surtout que cette époque fût celle des chevaliers du ciel; douze d'entre eux eurent plus de cinquante victoires individuelles homologuées:
  1. Manfred Von Richtoffen (Allemagne): 80 victoires
  2. René Fonck (France): 75
  3. Edward Mannock (Angleterre): 73
  4. William Bishop (Canada) 72
  5. Ernst Udet (Allemagne): 62
  6. Raymond Collishaw (Canada): 60
  7. James Mc-Cudden (Angleterre): 57
  8. A.W Beauchamp-Proctor (Afrique du Sud): 54
  9. Donald Mac Laren (Canada): 54
  10. Georges Guynemer (France): 53
  11. Erich Loewenhardt (Allemagne): 53
  12. William Barker (Canada): 53

Insignes des nations en guerre:

Insignes des nations en guerre

Insignes des escadrilles formant le groupe de chasse les cigognes:

Symbole des escadrilles du groupe de chasse les cigognes

Insignes d'escadrilles françaises:

Insignes des escadrilles françaises

Georges Guynemer: Tous le surnommaient Le Gosse, parce qu'il était trés jeune, frêle, et qu'il était resté bon enfant. Aprés 75 victoires, il sera abattu le 11 septembre 1917 prés du cimetière de Poëlcappelle

Georges Guynemer

Le sous-lieutenant René Fonck - L'illustration samedi 18 mai 1918:

J'ai beaucoup étudié les procédés de mes adversaires et j'ai acquis peu à peu une connaissance approfondie de la tactique des chasseurs et des pilotes de reconnaissance et de réglage... Dés 1915 j'ai voulu poser une mitrailleuse sur mon G3. Celle du bimoteur que j'eus ensuite était fixe, et quand j'utilise mon Spad, je place mes balles au but comme avec la main. 

Ce n'est pourtant pas chose facile. Il faut songer que chasseur et gibier se déplacent à toute allure et se tiennent à des hauteurs variables. Il faut évaluer en un clin d'oeil la vitesse de l'adversaire, corriger cette vitesse en la comparant à la sienne propre et prévoir les déviations des trajectoires produites par l'angle de tir. La résistance de l'air intervient aussi comme facteur important et cette résistance varie beaucoup suivant l'altitude de l'appareil.

Les corrections, au hasard des circonstances s'annulent ou se complétent, et pour vous donner un exemple moins abstrait, je dois dire que, me trouvant un jour à 200m seulement d'un allemand, il m'a fallu viser à 20m en avant...

La vitesse de nos avions atteint quelquefois 300 km/h, ce qui donne en moyenne 85m/s; comme il faut pour réduire au minimum la correction faire feu à une distance de 100 à 200m, il est facile de constater que le tireur n'a que quelques secondes de tir utile à sa disposition. La marge est si faible que je ne réussis le plus souvent à envoyer en me servant de la mitrailleuse qu'une rafale de cinq ou six cartouches, mais cela me suffit en général.

Je sais me placer dans les angles morts de l'avion attaqué, sans engager avec lui un véritable duel. Guynemer combattait autrement et affrontait régulièrement le feu, mais cette tactique est trés dangereuse, elle met le pilote à la merci d'un enrayage de son arme. J'utilise toujours les angles morts et suis forcé pour cela de tirer quelque soit la position de mon Spad, mais j'y suis fait depuis longtemps. Mes rafales sont de huit à dix cartouches au maximum et souvent je n'emploi pas plus de trois balles. Outre l'avantage d'économiser les projectiles, ce procédé a aussi celui de me faciliter la visée et de réduire les chances d'enrayage ou de rupture de la mitrailleuse.

J'ajoute encore que pour obtenir des résultats sérieux, il faut savoir dominer ses nerfs, garder une absolue maitrise de soi et raisonner froidement dans les situations difficiles. J'ai eu affaire aux grands "As" allemands; j'ai eu la patience, en combattant, d'attendre la minute d'enervement, la faute fatale et j'en ai largement profité, mais il est indispensable pour cela de conserver toujours la confiance absolue dans le succés final, le mépris le plus complet du danger. Ce sont là les qualités nécessaires et je répéte que pour devenir un "As", l'apprentissage est long, difficile, semé de déceptions et d'échecs répétés au cours desquels notre vie est cent fois jouée  - Capitaine Fonck - Mes combats - Chapitre XXXIX procédés de combats

Combattant dans des avions à carlingue ouverte, sans parachutes, on voyait souvent, des tranchées, le pilote ou l'observateur d'un avion abattu être projeté dans le vide:

avion allemand abattu


=> L'aviation allemande
=> L'aviation britannique

Sources: Que-sais-je n°172 Histoire de l'aviation - Edmond Petit - 1966
Photographies prises au musée de l'air au Bourget