LA LIGNE SIEGFRIED

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Aprés la bataille de la Somme l'état-major allemand décide de raccourcir son front occidental de 50km en se repliant sur une ligne trés fortifiée, que les allemands nommérent ligne Siegfried, mais que les alliés désignaient par ligne Hindenburg. La ligne Siegfried a été construite durant l'hiver 1916-1917. La retraite en février 1917 commence par l'évacuation de la population civile puis par celle des troupes qui se finit en avril. La politique de la terre brulée a atteint un paroxysme.

Les villages que nous traversâmes en remontant en ligne offraient le spectacle de grands asiles d'aliénés. Des compagnies entières poussaient des murs ou halaient dessus pour les abattre, ou bien, perchés sur les toits, elles fracassaient les tuiles. On coupait les arbres, on enfonçait les carreaux; partout alentour, des nuages de fumées et de poussière s'élevaient d'énormes tas de décombres. On voyait les hommes s'agiter frénétiquement, avec les costumes qu'avaient abandonnés les habitants, ou en robes de femmes, des hauts-de-forme sur la tête. Ils découvraient avec l'intuition du destructeur la maîtresse poutre de la maison, y fixaient des cordes et halaient, criant en cadence, jusqu'au moment où tout s'effondrait dans une grêle de pierres. D'autres brandissaient de grands marteaux et mettaient en miette tout ce qu'ils rencontraient, des pots de fleurs sur les appuis des fenêtres aux verrières délicates d'une serre.

Jusqu'à la position Siegfried, chaque village n'était plus qu'un monceau de ruines, chaque arbre abattu, chaque route minée, chaque puits empoisonné, chaque cours d'eau arrêté par des digues, chaque cave crevée à coups d'explosifs ou rendue dangereuse par des bombes cachées, chaque rail déboulonné, chaque fil téléphonique roulé et emporté, tout ce qui pouvait brûler avait flambé : bref, nous changeâmes le pays en désert en prévision de l'avance ennemie. Ces spectacles faisaient penser à une maison de fous, comme je l'ai dit, et provoquaient des sentiments analogues, mi de comique, mi de dégoût. Ils furent aussi, on ne tarda pas à s'en apercevoir, funestes pour la discipline. ce fut la première fois où je vis à l'oeuvre la destruction préméditée, systèmatique, que j'allais rencontrer jusqu'à l'écœurement dans les années suivantes; elle était en corrélation étroite avec les doctrines économiques de notre temps et rapporte au destructeur lui même plus de tort que de profit. Les villages auraient été de toute manière anéantis dans les combats qui suivirent, mais d'une manière plus digne du soldat.

Parmi les surprises préparées pour nos successeurs, quelques unes étaient d'une méchanceté raffinée. C'est ainsi qu'on tendait à l'entrée des maisons et des galeries des fils métalliques presques invisibles, fins comme des crins, qui déclanchaient au moindre contact des charges d'explosifs. En de nombreux endroits, des puits furent creusés dans les rues; on y enfouissait un obus; le tout était recouvert d'un madrier de chêne, puis de terre. Un clou, planté dans le madrier, dépassait juste au dessus de la fusée de l'obus. L'épaisseur de la planche était calculée de telle sorte que les détachements d'infanterie pouvaient y passer sans risques, mais dés que le premier camion ou que la première pièce d'artillerie le traversait, le madrier se courbait et l'obus sautait. Les plus perfides étaient les bombes à retardement, enterrées au fond de la cave d'édifices isolés, qu'on laissait intact. l'une des chambres était remplie d'explosif, l'autre d'un acide. Une fois qu'on avait dissimulé ces œufs diaboliques, l'acide rongeait durant des semaines la cloison métallique et amorçait la bombe. L'une d'elle fit sauter l'hôtel de ville de Bapaume au moment même où les autorités s'y étaient rassemblées pour célébrer par une grande fête l'entrée des troupes anglaises - Ernst Jünger - Orages d'acier - La retraite de la Somme

Péronne détruite avant le départ des troupes allemandes - Sur la façade mutilée de l'hotel de ville: Nicht argern nur wundern! (ne pas se fâcher, admirer seulement!)

Péronne détruite - Hôtel de ville

carte de la ligne siegfried